A quoi sert de décevoir ?

Psychothérapie Paris Image de Soi, savoir décevoir et être déçu...
Pascal Acklin Mehri Psychologue Paris, Confiance en Soi – Regard de l’Autre

La déception, qu’on cherche à l’éviter ou la braver, pèse un poids important dans l’orientation des comportements humains. Elle est en lien direct avec le jugement ou le regard que l’on porte sur les autres ou que l’on croit que les autres portent sur nous. L’aprentissage du pouvoir de la déception commence dés notre plus jeune âge, en même temps que l’on découvre ce qui fait plaisir et déplaisir à nos parents, l’école, ou la société. C’est un apprentissage qui nous façonne tout au long de notre vie en même temps qu’il cultive nos contradictions c’est à dire nos culpabilités les plus profondes. Chacun navigue sans cesse entre l’envie d’être dans la norme et l’envie de se différencier, l’envie de faire bien comme cela est attendu, et l’envie tout simplement de faire comme on le sent. Autrement dit, entre l’envie d’être bien vu, aprécié, aimé de nos parents, professeurs, boss et les autres en général, et l’envie d’être soi, même si cela déplait.

Mais que je décoive les autres, ou que je sois déçu par eux, ou par moi-même, la déception s’accompagne toujours de sensations et sentiments désagréables. On a donc tôt fait de vouloir soit d’une part de s’écarter de tout événement pouvant nous amener à ressentir cette expérience désagréable, soit d’autre part d’essayer de faire de son mieux pour écraser ou lutter contre le négatif qui pourrait nous envahir lorsque l’on cherche simplement à continuer à être soi-même, malgré le désaccord ambiant. Ceci peut amener à deux comportements extrêmes, s’adapter le mieux possible à la norme quitte à écraser certains besoins fondamentaux que l’on n’osera pas vivre ou seulement en cachette, ou alors forcer la provocation en clamant par ses comportements que l’on en a rien à foutre de ce que pense les autres, quitte à être dans une perpétuelle lutte pour être soi. Entre ces deux cas se place le commun des mortels, toujours en train de chercher le bon équilibre avec pour curseur principal le sentiment de culpabilité qui met en scéne cette contradiction essentielle, to be or not to be, être aimé ou ne pas être aimé, decevoir ou ne pas décevoir…

Ceux qui arrivent avec bienveillance à se réaliser comme ils sont, et non pas comme on voudrait qu’ils soient, sont justement ceux qui arrivent le mieux à apprivoiser les déceptions incontournables de la vie sans avoir ni besoin de s’écraser ni besoin de s’hyper affirmer pour exister. De fait, ils aprivoisent aussi forcément leurs différents niveaux de culpabilité et donc de contradiction interne. Mon propos est donc surtout ici de parler de la nécessité d’apprivoiser la déception, la sienne ou celle des autres lorsque l’on fait, que l’on veut faire, ou que l’on a fait, quelque chose qui nous semble juste par rapport à une information profonde qui nous vient de l’intérieur. Cette information intérieure, c’est aussi ce que l’on appelle les tripes ou encore l’intuition, la petite voix dont l’écoute fait que l’on avance toujours plus vers soi-m’aime.

Déception et réalisation de Soi

Car décevoir c’est aussi grandir un peu… En effet si la déception provient du décalage entre ce que dit notre petite voix intérieur et la manière dont cela va être jugé dans le cadre de perception des autres, il est indispensable d’accepter cette déception et de la traverser pour laisser place petit à petit, et de plus en plus souvent, à l’acceptation de Soi. Cela est d’autant plus nécessaire quand ce regard jugeant est à tel point intégré en nous qu’il est devenu le nôtre et que notre petite voix intérieur fait alors face directement à notre propre auto-jugement sur nous-même. En quelque sorte, la petite voix de l’intuition, celle de nos trippes, rencontre la grosse, et souvent envahissante, voix du mental. Cela peut alors déclencher une véritable guerre civile entre le Moi et le Soi. Le Moi résume, pour notre exemple, ce que serait notre personalité construite, ayant intégré un certain cadre de représentation culturel, social, religieux (etc..) qui défini moralement ce qui est bon ou mauvais, ce qui est bien ou mal, ce qui me fait juger de ma propre valeur ou de la valeur des autres. Le Soi serait une information intuitionnelle, corporelle, intime, manifestée dans le corps et ancrée dans quelque chose de bien plus vaste et juste (car non-mentalement construit..). Et donc de ce fait le Soi est souvent en désaccord avec les cadres de pensée déjà-là et qui nous entourent et nous façonnent dés la naissance.

Donc ce qui est juste en Soi n’est pas forcément en accord avec ce qui est jugé comme normal, acceptable, ou valorisable par le Moi. Lorsque le Moi rentre en lutte avec le Soi il y à alors contradiction entre mes valeurs induites et inculquées (auxquelles je peux consciemment avoir l’impression d’adhérer ou pas…) et cette intuition profonde qui défie les vérités préétablies. Ce qui fait que même si je fait quelque chose de profondément juste en Soi, je peux décevoir les autres, et/ou me décevoir moi-même. En bref, que le Moi auquel je me confronte soit celui du groupe (des autres), ou de moi-même, ce n’est jamais rien d’autre que le Moi qui est déçu. Bien sûr plus on s’identifie et on adhére sans recul avec ce Moi, qui pense ce que je pense que je suis ou devrait être, et plus la contradiction va être vive et le vécu de déception sera difficile lorsque l’intuition d’une vérité bien plus fondamentale du Soi vient à radiner le bout de son nez

Cette conception de la décéption entraîne un réévaluation globale du phénomène. Il s’agit de ne plus considérer la déception  comme la conséquence logique du fait que je n’ai pas été à la hauteur ou que l’autre n’ai pas été à la hauteur, car du coup je paye, je suis puni et c’est normal. Il s’agit au contraire d’un signal dans le corps, qui attire notre attention sur un conflit latent entre le Soi et le Moi. C’est à dire d’une part entre ce que je crois, ce que je pense qui devrait être, et d’autre part ce qui s’impose à moi (souvent contre mon gré) comme la vérité juste et intuitive de ce que je ressent plus profondément (sur moi-même, sur ma relation avec l’autre, sur mon rapport a ce travail, etc…) même si je n’étais pas prét à le regarder en face. La violence de la déception est d’autant plus grande que le Moi cherche à maintenir le contrôle sur ce que je crois ou suis habitué à croire, sur comment les choses doivent être, comment elle doivent se passer, comment le couple doit fonctionner, ce qu’est l’amour, comment il est normal que je me comporte ou que l’autre se comporte dans telle ou telle situation. Si je rencontre la déception de maniére régulière sans pouvoir m’en extraire, alors il est temps de considérer la répétition comme une tentative de votre inconscient de vous ouvrir les yeux pour remettre en question  le cadre de pensée qui vous fait souffrir et vous ouvrir un peu plus à cette intuition plus profonde qui attend que vous lui portiez plus d’attention.

Sortir de la déception implique alors d’accepter d’abord d’y rentrer et de l’explorer pour ce qu’elle est, une occasion de profonde remise en question. Et ici, ma proposition est toujours la même, l’exploration doit se faire de maniére sensorielle et non pas mentale. Ou plutôt, dans le processus que je propose, le mental doit perdre son statu de patron qui décide et contrôle, pour celui de simple outil au service de l’information distillée par le corps au moment de la déception. Le mental, les mots, la parole ne doivent plus servir à interpréter mais uniquement à décrire l’état sensoriel que l’on traverse. Même si au début cela peut paraître difficile pour certains, décrire ce que l’on ressent et non pas ce que l’on pense, nous oblige à prétter attention au Soi et non plus aux boucles sans fin des tergiversations névrotiques mentales qui se fixent uniquement sur le Moi Moi Moi. Or, plus on passe de temps à prêter attention aux informations du Soi dans le corps et plus on s’apporte la douceur attentionnelle qui est le seul remède à la violence émotionnelle que l’on est en train de traverser. Et plus on prends ce temps de la description dans le corps plus la description s’affine et devient évolutive, on constate que l’on peut alors redécouvrir des niveaux internes de bienveillance puis d’auto-guerison simplement parce qu’on a de nouveau developpé une forme d’écoute inconditionnelle de soi-m’aime, même quand initialement il s’agit découter un haut niveau de violence, de conflit et de désorganisation interne.

NB: Attention, je ne dis pas ici qu’il faut décevoir pour décevoir à tout pris, je dis que décevoir et être déçu sont des phénomènes inévitables et qu’ils sont partie constituante de la construction humaine. Apprivoiser la déception en acceptant de la ressentir et de la vivre permet potentiellement aux humains de grandir et d’évoluer vers une meilleur version d’eux-même. Ceci, en permettant le remaniement de toutes nos attentes, représentations et formes-pensées qui tentent de formater le réel non pas comme il est, mais comme nous croyons qu’il devrait être. Pour le re-phraser d’une autre maniére (car c’est le message principal de ce texte), la déception opére chaque fois que la vraie nature du réel, de l’autre ou de notre Soi profond, manifestent clairement qu’ils ne sont pas assujéttis à nos attentes et à toutes nos représentations mentales conscientes ou inconscientes auxquelles nous croyons qu’ils devraient logiquement obéir. C’est pourquoi, si elle est accompagnée et apprivoiséé, la déception peut nous ouvrir sur un monde de possibilité bien plus vaste et enrichissant que la représentation mentale limitée et limitante de nous-même des autres et du réel dans lequel nous ne savions pas encore que nous étions emprisonné(e)s…

P.A.M